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les mots de MEL

8 avril 2023

LES SOURCES

les sources

Je bois l'eau et les mots

A la gorge lucide

Des sources du passé.

Elles me narguent, en rêve

Et glissent entre mes doigts

Cascadant sous les pierres

Et mouillant ma chemise.

Elles se moquent de moi

Cachées entre les herbes

Courant de ça, de là

Et chantant la colline.

Je les entends encore,

Je les entends déjà,

Mes yeux cherchent leurs ors

Je le sais, elles sont là!

MEL

 

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12 mars 2023

EAU VIVE

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L'étreinte de l'eau

Glacée des glaciers

Le chant des ruisseaux

Les névés nacrés

Coulent dans ma peau

Comme un sang sacré.

Et bruisse la source

Et rue le torrent

Une chanson douce

Qu'emporte le vent

Jusqu'à la Grande Ourse

Jusqu'au firmament.

Le calme des lacs

paisibles et lents

Le bruit de la flaque

Qu'appelle l'enfant

Quand la pluie se braque

Sur un toit brulant.

Se la couler douce

Plonger en piqué

Sécher sur la mousse

Et recommencer

Sous la lune rousse

La mer épouser.

 MEL

 

12 mars 2023

LIBRE COMME L'EAU

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20220906_112825C'était il y a longtemps dejà, nous étions jeunes bergers toutesjuste sortis de l'enfance, et c'était notre premier alpage. On nous avait largué là, avec le troupeau, plus d'un millier de brebis, sur les terres "basses",  dans un petit hameau au pied de la montagne que nous gagnerions plus tard dans l'été, quand l'herbe tendre remplacerait la neige encore présente à ces altitudes.

Le hameau de Sardonne se situe dans le massif de l'Oisans, à 1000 mètres d'altitude et fait partie de la commune qui porte le joli nom d'Oz.

A l'époque déjà lointaine où nous avons découvert les lieux, peu de gens vivaient là à l'année. Nous étions loin de tout et quelques vieux résistaient encore à l'attrait du confort et de la facilité qu'offraient les bourgs de la vallée.

Il y avait Aimé, le bien nommé, qui s'était pris d'affection pour nous, qui nous offrait du miel de sa production et le réconfort de sa bicoque au confort rudimentaire mais douillet et au feu toujours entretenu. Il y avait le légionnaire, un ivrogne sauvage et lunatique qui préfèrait la compagnie de la bouteille à toute autre. Il y avait "la folle", qui braillait débraillée au détour des venelles et qui fricotait parfois avec le légionnaire et sa bouteille. Elle, on l'a retrouvée un jour, après de longues recherches, morte au fond d'un ravin, sa voiture broyée et son corps éparpillé façon puzzle: alcool, suicide, probablement les deux.

Et puis, il y a avait les résidents secondaires, ceux qui avaient gardé une maison de famille, des racines, mais qui n'avaient pas été assez fous pour s'enterrer dans ce trou.

Parmi eux, deux soeurs, un couple de vieillles filles revêches et irascibles dont le grand plaisir était de charrier de la ville leur linge sale pour le nettoyer au lavoir.

L'eau glacée qui descendait des cours d'eau alpins pour l'alimenter emplissait les deux bassins en pierre que composait le lavoir qui fût sans doute le coeur de Sardonne quand la vie paysanne ne l'avait pas encore quitté. C'était classiquement un beau lavoir couvert par un auvent en bois, qui glougloutait en permanence dans le silence religieux de la montagne en majesté.

Le rituel immuable des frangines, munies de battoirs ancestraux et d'un gros savon noir, nous laissait perplexes. Nous n'avions pour notre part d'autre choix que de laver notre linge au lavoir. Nous habitions pour le mois que nous avions à passer dans la place, une misérable caravane à l'écart de tous, calée dans une combe sombre et pleine de courants d'air, dans laquelle la condensation trempait absolument toutes nos affaires, couvertures comprises.

Aller au lavoir était un véritable supplice. L'eau glacée rendait nos mains violettes et rèches, rien n'en ressortait vraiment propre, et faire sécher le linge était un pari souvent perdu, la pluie et le brouillard se chargeant régulièrement de le maintenir trempé.

Et ces deux vieilles qui nous expliquaient le plaisir de laver les draps dans l'eau pure, l'odeur qui s'en dégageait soit disant les ramenaient à un passé révolu et sans doute fantasmé, un temps qu'on n'aurait jamais voulu connaître et dans lequel notre situation nous a longtemps replongé, puisque nous avons été bergers pendant des années, avant d'avoir notre propre troupeau, et qu'il a fallu attendre longtemps avant d'avoir droit à un minimuum de confort.

Quand nous avons changé de patron, nous avons découvert la sublime Savoie, et le confort d'une cabane neuve avec l'eau à l'intérieur!

De l'eau partout, des ruisseaux ou l'on s'abreuvait tout le jour, en amont des brebis, des torrents aux accents gutturaux, un barrage grandiose qui nous  nourrissait en truites, un lac d'altitude colonisé par les ombles chevaliers. Et cette couleur unique, ce bleu qui fait du ciel une pâle réplique, ce bleu qui reflète les déclinaisons de couleur des montagnes qui semblent s'y jeter, y boire leur image.

Cette eau en majesté qui court et bruisse, nous berçait jour et nuit, rythmait nos journées et celles des brebis, qui sans elle n'auraient pu accéder aux délices des alpages.  Cette eau, si abondante alors, se perd aujourd'hui car la neige se raréfie, et les névés majestueux qui parsemaient le paysage disparaissent avec le réchauffement climatique. Cette eau  devient un luxe dont on n'a pas encore assez conscience et me fera regretter un jour les mains engourdies, le concert assourdissant des cascades, et les ponts de bois improvisés sur les torrents rugissants pour faire passer le troupeau d'un point à l'autre de la montagne.

Et les petits pieds de nos fils goutant en gloussant de froid et d'excitation l'eau du petit ruisseau qui jouxtait la cabane.

Aujourd'hui, par mesurre d'économie, ou parce que plus une goutte d'eau n'en sort, on fait taire les fontaines, celles qui animaient il y a peu les places des villages. On les fige dans la pierre asséchée et la rouille, impuissants, et partout les montagnes jaunissent prématurément sans plus connaître l'explosion des couleurs du printemps.

Faut-il vraiment revenir sur les traces d'un passé révolu? Peut-on  croire aveuglément que rien jamais ne change, refusant de  réaliser que ce que nous avons su préserver un temps n'était qu'une illusion?

Sardonne est devenu aujourd'hui un hameau touristique.

La cabane en Savoie, petite victoire, n'a pas changé, mais il y a maintenant la télé et, ô luxe suprême, une douche!!!

L'eau court encore dans nos anciens alpages, mais se raréfie insensiblement dans certains secteurs, limitant chaque année un peu plus le territoire des bergers, Les arbres  gagnent  du terrain jusqu'à des altitudes autrefois inaccessibles, et l'herbe s'appauvrit,  chassant les troupeaux.

Il fût un temps où l'eau coulait libre et sans limites, filant en abondance entre nos mains en coupe et nos bouches assoiffées, sous l'oeil du troupeau repu d'herbe fraîche et à jamais désaltéré.

9 décembre 2022

VOIR VENIR LE CHIEN-LOUP

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Basculer

 

De l'aube au crépuscule

Petits pas minuscules

Dans l'infinité.

 

Basculer

 

Se jeter dans le vide

Ne pas compter ses rides

Et ne rien regretter

 

Basculer

 

Faire et défaire le jour

La nuit y couper court

Et puis recommencer.

 

4 décembre 2022

DES LIRE

Je partais en voyage

Pour un mot

Pour un rien

Et j'avais

Sur les rêves

Un étrange regard

Je ne partais qu'en songe

Je n'allais nulle part

Voyageur immobile

Je traçais mon chemin

Je lisais

Je lirai!

Quand je lis tout va bien.

MEL

 

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20 novembre 2022

MON ARBRE

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Je n'ai pas de racines, ou peut-être bien quelques radicelles ancrées dans mon souvenir et dans les alpages de ma vie de bergère.

Seules mes errances volontaires ont fait la base de ce que je suis, le tronc, en somme.

Il y aurait tout de même, en scrutant les images qui se forment au gré des souvenirs, les plus récentes du moins, un bel arbre campé dans une terre grasse.

Un arbre planté au pied d'un ruisselet qui a maintes fois arrêté mes pas et occupé mes pensées, en chassant de plus noires et bravant ma nature.

Un arbre majestueux quelque soit la saison, défiant le temps avec impétuosité.

Un arbre juste pour moi, un qui m'a séduite au premier regard et m'a tout dit de lui, dans sa belle langue de vent. Nous formions en rêve un beau couple de solitaires, un duo d'uniques, ses racines et mon tronc, ses feuilles et mes branches, son souffle sur ma peau et nos dances ennivrées.

Un arbre qui a ponctué le temps, près de treize années, sans jamais qu'on puisse se lasser l'un de l'autre, discret et à l'écoute, jamais dans le jugement, un ami végétal, fidèle et attentif. Un ête cher, aimé, étreint par la pensée, une valeur sûre.

J'ai quitté mon arbre pour un ailleurs pas si lointain, mais je ne sais pas me retouner. Je lui ai dit adieu aux prémices du printemps, un jour frileux, consciente du caractère définitif de notre séparation. J'ai cru voir une larme perler à son tronc et j'y ai mêlé mes propres larmes. Ce fût un doux chagrin, sans témoin et sans cris. Nous avons pris conscience de l'instant, l'avons vécu comme il se doit, recueillis et reconnaissants l'un de l'autre.

Je ne me retourne pas, donc, mais l'arbre est toujours là, dans un coin de mon âme, se la coulant douce à la fraîcheur du petit ruisseau, et je le visite à l'envi, par le songe, et le temps et l'éloignement n'existent plus. 

19 novembre 2022

NIGHT SONG

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La Lune

Ampoule allanguie

Au sourcil levé

Jazze dans les arbres

 

Mel

15 novembre 2022

MORT FINE

"Ma mère est morte"!

C'est ce que je déclame depuis plusieurs mois, sur scène, et ce sont les mots récurrents du texte d'Hanokh Levin, ceux que le fils, que j'incarne, prononce tout au long de la pièce "Funérailles d'hiver". Ce sont les mots qu'il m'a fallu prononcer, quelques jours après la mort de ma propre mère, sans sourciller, sans me laisser gagner par l'émotion. C'est l'histoire d'un fils qui veut enterrer sa mère le jour du mariage de la fille de sa cousine. Celle-ci, avec toute sa famille, refuse obstinément d'entendre la nouvelle pour sauver à tout prix ce mariage. C'est une farce burlesque et grincante, drôle et sombre, une épopée qui va balader tout ce monde sur une plage, en plein hiver et jusque sur les sommets tibétains, en passant par un toit de tuile.

L'enterrement aura bien lieu, à la toute fin, mais les noces auront raison du pauvre fils, faible et crédule.

Ma mère est morte. Je l'ai toujours connue malade. Elle vivait pour la maladie. Elle vivait à travers la maladie. Elle a fini par être vraiment malade, et pourtant, jusqu'au bout, j'ai douté.

Son enfance a été épouvantable. Elle l'a détruite, elle ne s'en est jamais relevée. A croire que pour être une mère aimante il faut avoir été une fille aimée. Mais ce n'est heureusement pas si manichéen.

Son père était un salaud. Elle n'a su que faire de moi, à dix-neuf ans, alors elle m'a confié à sa propre mère, les trois premières années de ma vie.

Chez ma grand-mère, l'amour était inconditionnel. Puis j'ai regagné la maison.

Mon enfance a été solitaire, terriblement solitaire. Souvent livrée à moi-même, je me suis très vite sentie abandonnée. Mon père comblait comme il pouvait le vide des absences de sa femme.

Et quand j'ai eu seize ans, il est mort.

Nous portons en nous toutes les félures familiales, elles font de nous ce que nous sommes. J'aurais bien tout un roman à écrire sur cette enfance si particulière, mais ce n'est pas le sujet.

Le sujet, c'est ma mère, la perte de ma mère.

Il y a peu de temps, elle m'a demandé pardon. Pas besoin de développer, nous savions toutes les deux ce que contenait ce pardon. Et ça a été pour moi une véritable libération.

Notre relation s'est beaucoup apaisée, j'ai pu penser en partie mes blessures.

Je ne sais plus combien de fois j'ai cru, à tort, que sa vie était en danger. Si souvent que j'ai fini par ne plus croire à toutes les alertes, à ne plus compter les hospitalisations, à perdre le fil de ses pathologies, réelles ou fantasmées.

La dernière fois que je l'ai vue à peu près consciente j'ai réalisé que cette fois-ci c'était la fin, qu'il n'y aurait pas de retour possible, qu'elle était véritablement mourante.

C'est difficile de voir partir quelqu'un tant de fois qu'on pense finalement la personne invincible.

Comme sans doute tous ceux qui perdent un proche, j'ai un sentiment d'inachevé: tout n'a pas été dit, j'aurais dû lui poser tant de questions, être tellement plus patiente, m'agacer moins de ses plaintes, l'écouter plus, l'aimer mieux. Et maintenant, il est trop tard.

Ma mère est morte de ses excès, de ses manquements, de son enfance. Ma mère est morte gavée de morphiniques, à un point tel que quelques jours avant sa mort elle me harcelait pour que je lui en porte en plus de ce qu'on lui donnait déjà. Les morphiniques ont détruit son organisme, ont fait d'elle une toxicomane au plus haut degré, ont provoqué une détresse respiratoire irreversible.

je maudis les médecins qui, par facilité, ont augmenté les doses jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de retour possible. 

Mais si la morphine reste la cause principale de sa descente aux enfers, il y a aussi tous les autres médicaments qu'elle prenait depuis toujours, sans qu'aucun médecin ne parvienne a réduire les dosages. Si un médecin supprimait un médicament, elle changeait de médecin. Elle prenait une quarantaine de cachets par jour. Quand j'étais enfant, elle mettait tous ses médicaments mélangés dans une boîte Tupperware.

On ne peut pas sauver quelqu'un qui veut à tout prix se détruire, on ne peut que constater, impuissant.

Alors  j'étanche ma peine en buvant mes larmes, celles qui coulent en silence derrière les mots appris par coeur et que j'essaie à chaque représentation de vider de leur sens.

Ma mère est morte.

 

 

27 octobre 2016

CLAIR-OBSCUR

Poussière de larmes

Sur tes yeux secs

Cigarette rêvée

Au coin des lèvres amères

Bouche en coin

Démarche sombre

Corps lumineux

Contraste de tes hanches

Trop fines

Sous la parka

Trop large

Les bras,jetés en balancier,

Mènent l'équilibre.

20 septembre 2016

VARIATION AUTOUR D'UNE NUIT SANS FIN

Ma version de l'histoire:

C'est la pleine lune. Ils se réveillent chaque demie-heure. Il faut tout de même dormir un peu...

Réveil à minuit: ne pas paniquer, exiler les tensions et s'habiller à la hâte. Ils le savaient, elles sont parties. Les sauvages agnelles ont pris de la hauteur, explosant la clôture.

Ils se sont séparés à contre-coeur, courant chacun un pan de montagne à la recherche des fugitives.

Troupeaux multiples et épars, disséminés dans la nuit claire, mouchetée de laine.Ne pas se laisser envahir par le désarroi provoqué par cette immensité souvent hostile. Ils savent y faire et doivent se faire confiance.

Surmonter la fatigue quand on n'a guère plus de vingt ans n'est pas si difficile, ils l'apprendrons, ils ont encore beaucoup à apprendre.

En attendant, ils testent malgré eux leur endurance, et pas seulement celle qui leur est nécessaire à courir la montagne, mais aussi leur endurance de couple balbutiant.

A l'aube, il arrive premier et s'inquiète pour elle. Elle finit bien-sûr par le rejoindre et je les vois, malgré l'épuisement, heureux de se retrouver. Le troupeau est à nouveau au complet, du moins l'éspèrent-ils...

Attablés devant un copieux petit-déjeuner, ils reprennent leurs esprits, ou peut-être se perdent-ils dans la nébuleuse des songes que la nuit blanche leur a volé?

Leus yeux se ferment, mais le jour nouveau leur interdit le repos.

Elle, une larme a perlé de ses yeux clos: est-ce le soulagement d'un heureux dénouement, ou la terreur d'autre nuits à venir?

Sans doute un peu des deux, ou la pluie sur ses joues.

Dans quelques jours, le troupeau sera augmenté d'une centaine d'adultes.Celà changera le cours du temps, les nuits seront vraiment des nuits, pleines de rêves appaisés, les jours seront vraiment des jours, vers la course tranquille à l'herbe fraîche à laquelle aspire un troupeau, un vrai.

Ce sera leur première et plus dure transhumance, et le but, chaque printemps, d'une vie de berger.

 

Elle raconte:

C'esr la pleine lune. C'est une chance car on les trouvera dans la nuit. C'est terrible, je sais qu'elles ne nous laisserons pas de répit. Le réveil est mis à minuit, il faut tout de même dormir un peu.

Connerie de jeunesse que d'avoir dit au patron qu'on avait déjà gardé un troupeau d'agnelles!

Ces salopes nous séchent, nous épuisent, jour après jour.

Photo de moi mangeant froid sous le parapluie de berger, transie sous l'orage, pâle sourire...

Le réveil sonne: elles ont déjà explosé la clôture!

Cavalcade épuisée, la montagne nous happe, il faut se séparer. Les Blanches n'ont pa encore l'instinct grégaire. Des tâches claires et mobiles éclaboussent la nuit aux quatre coins de l'estive. J'ai froid. J'ai peur. Les chiens aboient furieusement après ce troupeau éclaté.

Je m'égare dans les creux obscures, peur de ne pouvoir les ramener, d'en oublier. Désarroi.

Au petit jour, tu as déjà atteint le parc avec une partie des bêtes. Tu m'aides à ramasser le lot que j'ai péniblement poussé jusqu'à la couchade.

Une fois le troupeau rentré, un peu de répit, avaler du pain et du thé chaud, se refaire.

Il va falloir compter pour être bien sûrs d'avoir toutes les bêtes, et une journée de plus à courir...

Mes yeux se ferment seuls, quelques larmes s'échappent. Me blottir dans tes bras.

 La semaine prochaine, le patron nous porte une centaine de brebis pour stabiliser le troupeau.

Encore une semaine à tenir...je le hais!

Je suis bien trop fière pour le dire, mais je n'en peux plus. Je suis pourtant une bonne bergère...

Les semelles de mes chaussures sont devenues lisses, je glisse en marchant sur les pierres, j'ai perdu huit kilos, et pourtant j'aime cette vie sans concession, passionnément.

La transhumance est la vraie came du berger, et je sais qu'à chaque printemps, quand l'air de la Crau deviendra irrespirable, je ne désirerai qu'une chose: ma montagne!

 

Il raconte:

Saloperie de pleine lune. Je me réveille chaque demie-heure. Encore une heure à tenir avant d'aller au parc. Tu te débats dans ton sommeil.

On se supporte mal, trop de tension dûe à la fatigue. Ces garces d'agnelles nous mettent à rude épreuve.

Tu panique vite, ça ne sert à rien. Et puis dans une semaine Christian nous aura mené les brebis, ça ira mieux.

Je suis claqué, mais bien trop fier pour le reconnaître. Les chiens ne valent rien, ces bâtards sont trop agressifs, on l'à déjà payé cher et j'ai peur qu'ils mordent encore à la faveur de la nuit.

Minuit: levés en sursaut, nos habits encore humides de l'orage de la veille. Tu es pâle, les traits tirés: on doit se ressembler à cette heure de la nuit.

Approcher le parc de nuit: pas un bruit de sonnailles, elles sont parties, encore. Calmer le stress, se séparer. Je sais que l'idée de courir seule la montagne la nuit t'angoisse. Surtout ne pas te laisser entrevoir que moi aussi, je suis mal. Quel choix a-t-on?

Il faut multiplier les chances de les ramener toutes avant le jour.

Demain, elles nous foutrons la paix, trop épuisées d'avoir grimpé la nuit. Parce que jamais elles ne descendent, non, l'herbe est plus verte en haut, toujours plus haut. Arrivé au-dessus de la clapière, j'en vois une trentaine qui parade. Il y en a mille huit-cent en tout, on est très loin du compte!

Putain, que la nuit est longue, de petits lots en petits lots, de plus en plus haut...

J'arrète là, advienne que pourra, je descend les agnelles que j'ai trouvé, je croise les doigts pour que tu ramène le reste.

Arrivé au parc, démêler la clôture, faire rentrer les bêtes en calmant les chiens, et t'attendre...

Presque une heure que je t'attends, toujours rien. Si je pars à ta rencontre, elles sont capables de s'échapper à nouveau. Dilemme...

Te voilà enfin, je t'entends, je les entends, je crois qu'on a tout ramassé, mais il va falloir vérifier. Compter.

Un petit-déjeuner à l'aube, sans un mot. J'entends ton ras-le-bol, je ravale ma somnolence.

Pour un peu, on s'endormirait, assis face-à-face, la tête affalée sur la table. Tu pleures? te prendre dans mes bras...

 

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les mots de MEL
  • "De deux choses Lune, l'Autre c'est le Soleil." JACQUES PREVERT. Amoureuse des mots, ne peux vivre pleinement qu'au travers de ceux-ci, qu'ils soient littérature, théâtre, cinéma, réels, imaginaires, pourvu qu'ils fassent vibrer l'âme et la nourrissent.
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