mamama
Mon premier mot d'enfant, trois syllabes qui voulaient dire que tu étais plus qu'une mère, plus que la grand-mère que le sort un peu forcé m'offrait; j'ai inventé pour toi le langage de l'amour, notre indicible lien...
C'est dans tes bras que sont venus mes premiers sourires, vers tes mains que sont allés mes premiers pas, à ton oreille que se sont formés mes premiers mots "ma ma ma". Quels bonheurs réciproques nous avons dû vivre, à ces moments là, ceux que j'ai oublié et ceux qui restent encore, malgré le temps qui m'a emporté loin de ton visage aimant.
Je ne t'ai jamais appelé autrement, ce mot n'allait qu'à toi, il t'était profondément destiné.
Quand je fus assez grande pour ne pas m'y perdre, je me glissais, le soir, dans ton grand lit en bois. Les draps, tiédis par la bouillotte, sentaient bon ton parfum sucré et fleuri. je me blottissais contre ton corps et tu me chuchotais des histoires qui faisaient un peu peur ou qui m'émerveillaient, puis je succombais au sommeil, au milieu d'une phrase, happée par l'édredon aux teintes soyeuses que tu tirais à moi.
Je me rappelle de la cuisinière à charbon sur laquelle mijotaient toujours des soupes ou des ragoût qui embaumaient la petite cuisine.
Je me souviens de l'odeur âcre du poêle à mazout dont les flammes changeantes rougissaient la vitre et racontaient à leur seule vue des histoires d'enfer.
J'ai gardé en moi l'odeur des pâtes fraîches et du civet que tu faisais, juste pour nous deux, c'était l'odeur du bonheur simple de deux oiseaux un peu perdus.
je ne me souviens pas des visites que mes parents ont dû me faire pendant cette parenthèse qu'ils avaient décidé, je ne sais plus les mots que j'ai eu pour eux, quand j'ai dis "maman", quand ils m'ont pris dans leurs bras...
Je me souviens d'après, quand ils m'ont enlevé à tes bras pour apprendre à vivre à trois, je sais t'avoir appelé dans mes cauchemars, m'être perdue dans la nuit, seule et hagarde. Je guettais le jour de nos retrouvailles et je gouttais déjà la mélancolie. Comme tu devais être triste à ruminer ta vie de solitude, dans ce petit appartement vide...
Et puis un jour, on est partis loin, très loin de toi, dans une ville champignon laide et sale, les gens n'y parlaient pas le dialecte que tu m'avais appris, personne ne voyait personne.
J'ai appris ta mort bien après que l'on t'ai mis six pieds sous terre, je n'ai pas eu le droit de te dire un dernier adieu, les adultes, ces imbéciles, croient vous épargner , je leur en ai tant voulu.
Aucun amour de mère, MA mère, n'aura jamais su prendre ta place dans mon coeur, il faut dire qu'elle n'a jamais rien fait pour y parvenir.
J'aurais bien aimé faire encore un petit bout de route avec toi, main dans la main, Alice, ma grand-mère, mamama...