Je hais les Grandes Surfaces
Il ne sait plus bien où aller, où est-il d'ailleurs, ce grand échalas aux cheveux couleur paille, le torse voûté sur son caddy, un tee-shirt trop large baillant sur sa silhouette efflanquée, le jean usé tombant en accordéon sur des baskets avachies, le regard bleu perdu sur une vague liste ("ne pas oublier le chat..."). Il est arrêté au milieu de la foule du samedi, des familles furibondes s'écharpent le repas du soir en bousculant rageusement tout ce qui se met en travers. Un gamin obèse se pend, désespéré, à la cuisse de sa mère qui lui refuse le bonbon qui ne changera plus grand chose, mais, bon sang, qui l'aurait fait taire!
Il est là, ballotté d'un rayon à l'autre, sans trop savoir comment il y est parvenu, il est perdu, seul, happé par le néant et sa vie lui échappe, d'un coup, dans le flot des autres qui ne le voient même pas. La trentaine passée, dix années d'aventures sans lendemain, des corps et des mots interchangeables, des petits matins vides, cent ans de solitude... échouer au rayon bière, prendre une Mort Subite, autant en finir!
Et moi je l'aperçois, je vois l'absence qui s'installe et je le trouve beau, ce si jeune homme, ce vieil enfant abandonné, je voudrais le prendre dans mes bras, l'arracher à la médiocrité des jours, être son âme soeur, le nourrir de mes rêves, lui offrir la fille qui restera enfin, un matin, dans le lit trop étroit, le regardera, attendrie et se dira "c'est lui".
Lui, comme toujours, se réveillera seul, le parfum de la belle emplira la chambre et il refermera les yeux, résigné. Une porte qui s'ouvre, un sourire triomphant, des croissants chauds et le bonheur, enfin!