L'Intemporel
D'abord un petit préambule, pour vous dire une envie née d'une rencontre par blogs interposés...
Une envie de mêler deux mondes, deux modes d'expression, celui de tat, qui anime un univers où la poésie urbaine domine, grâce à son oeil acéré de photographe tour à tour malicieuse, citoyenne, créative, inventive, passionnée, généreuse, à mes mots qui ne demandent qu'à se poser sur un cliché qu'elle offre à mon imagination, en décalé, ou en adéquation.
Pari lancé: lundi 1er mars à 00H01, une première photo d'elle pour moi, un premier texte, de moi à elle, et c'est "l'intemporel"qui lance aujourd'hui l'idée d'une publication commune par mois.
Merci de nous donner vos impressions critiques, n'hésitez pas, si vous le jugez mérité, à nous encourager dans nos balbutiements!
photo: Tatiana
Petit, je jouais dans ce parc. Maman m'élevait seule et trimait dur. C'était la concierge de cet immeuble cossu que 'entr'aperçois à travers les grilles.
Elle m'emmenait au parc chaque jeudi après-midi, me tenant fort la main sur le pont, me mettant chaque fois en garde contre l'eau trouble du canal.
Je ne jouais qu'avec ceux de ma condition. Les gosses de riches nous méprisaient, nous les ignorions, je n'ai jamais vraiment souffert de ce fossé, j'étais choyé, épanoui.
Je ne sais plus trop bien pourquoi et comment j'ai atterri ici, je crois que je perd la mémoire et j'ai besoin de me raccrocher aux bribes de mon enfance. Je suis vieux, seul, fatigué; il faut que je me pose un instant. Ce banc où filtrent quelques rayons de soleil automnal fera bien l'affaire.
J'ai un peu froid, mes paupières s'alourdissent et mon corps s'abandonne...
Maman glisse un gâteau marbré dans le four pendant que je lèche goulûment la spatule pleine de pâte collante. C'est notre dessert du dimanche, et l'odeur délicieuse se répand dans le petit deux pièces.
C'est exactement ça, le bonheur. Tout le reste n'existe plus, la vie, le temps, la mort, se sont chargés du superflu. je me contente de peu.
Je frissonne, comme cette feuille morte qui vient de frôler ma joue et me ramène, hébété, à la réalité. Il se fait tard, l'odeur âcre du canal m'écoeure un peu, maman ne va pas tarder à venir me chercher...