l'amère
Elle ne peut s'empêcher d'avoir un mouvement de recul, quand elle s'approche d'elle en claudiquant, l'oeil mouillé et la mine blafarde.
Elle se laisse agripper; sa mère l'étreint à l'étouffer, écrase sa bouche tremblante contre sa joue en lui murmurant son amour dans un hoquet larmoyant. Cette allure de victime l'insupporte, elle réprime la nausée et la violence qui la gagnent, la honte, comme chaque fois, l'assaille enfin. Honte d'elle même, de son incapacité à rendre à cette mère l'affection qu'elle croit lui donner, honte de sa mère, à qui elle ne pardonnera jamais l'abscence, la trahison, l'abandon, l'incapacité de donner, et ce besoin de prendre, de voler, ce qu'elle ne peut naturellement obtenir. Et tous ces mensonges terrifiants...
Elle est encore jeune et déjà si vieille, habitée qu'elle est par son goût de la déchéance, sa certitude maladive d'être atteinte par toutes les pathologies qui passent, jusqu'à en déclencher les symptômes. Si culpabilisante, si effrayante, à travers ce corps qui se laisse choir, tordre, plier.
La redoutable peur de lui ressembler un jour...
Il va falloir l'écouter se plaindre, affronter son regard vide et sa mémoire vascillante, lessivée par les cachets multicolores qu'elle collectionne depuis si longtemps...
La voir s'étonner de "nouvelles" déjà plusieurs fois répétées, sans rien dire, elle n'écoute pas, elle est enfermée dans sa tête. N'avoir finalement plus envie de rien dire, de rien entendre, détourner le regard et attendre que tout cela finisse, jusqu'à la prochaine fois.
J'ai cru perdre ma mère, il y a peu de temps, comme tant de fois, mais cette fois-ci, c'était "pour de vrai". J'ai été anéantie, par les regrets, les remords, et un vrai chagrin plein de larmes, et puis tout est rentré dans l'ordre, comme toujours. Le médecin, comme tous les autres, m'a parlé de psy; Je sais, je sais tout ce qu'ils me disent, parfois c'est moi qui prévient avant qu'ils ne fassent fausse route. Mais elle est dans le déni,et refuse de soigner les vrais problèmes. J'ai essayé, un jour, de trouver les mots à lui dire pour définir ses maux, cela a fait de moi une fille indigne,un monstre. Je suis restée longtemps sans lui donner de nouvelles parce qu'elle me faisait trop souffrir et que ça faisait du bien, un petit break. C'est elle qui est revenue à la charge, j'ai cédé, par lassitude, et parce qu'elle est ma seule famille, on ne choisit pas, c'est indéniable. Ces hospitalisations, de plus en plus fréquentes, avec des symptômes de plus en plus inquiétants, finiront un jour par l'emporter, c'est ce qu'elle attend de la vie. Elles brisent chaque fois un petit bout de moi, je n'arrive plus à recoller les morceaux, quelques brisures, jetées sur la toile, suffiront-elles à m'apaiser? il me faut bien le croire...
Je trace ma route, comme tout le monde, j'essaye de rester droite, de regarder devant sans que ma raison ne tressaille...