TA PLACE
Petite banlieue triste mais toutefois résidentielle. Petit appartement cossu, nid douillet et étriqué. Tapisserie criarde, de grandes fleurs orange dans la chambre d'enfant. Les années soixante-dix.
Tu te tues à petit feu pour payer le crédit. Le jour comme la nuit tu zèle à tout va pour une boîte ogresque qui peu à peu te phagocyte.
Beaucoup d'amis, une femme à montrer, et la petite, obéissante.
Sans doute, pour toi, la réussite. Tu ne sais pas encore le prix à payer et tu souris.
Tu souris, sur l'île de Ré, un soir de 14 juillet, sur un Polaroïd jauni et aujourd'hui presque effacé.
Tu souris, avec tes potes, un trophée à la main, premier prix à un fameux radio-crochet.
Tu souris, cette nouvelle année de plus à boire le même mauvais champagne, engoncé dans un costume éculé mais chic, un noeud papillon au cou, ta famille autour de toi, le déjà patriarche, si jeune et si usé.
Sortir de tes origines modestes, de l'image du père, insignifiant, sans ambition et peut-être même sans désir. Ta mère...t'a t-elle jamais manifesté la moindre affection?
Regarde-la qui gronde et tonitrue après son vieux, l'accablant sans relâche, l'humiliant devant la petite.
Il faut fuir tout ça, cette médiocrité ordinaire, cette odeur de naphtaline qui ne vous lâche plus, le sempiternel gigot dominical et la tarte aux pommes trop cuite.
D'une banlieue l'autre, retour au petit nid douillet, on se rassure comme on peut.
Cette année, cap vers l'Espagne, ça sent la promotion, dis-tu.
On t'as offert plus de responsabilité et tu donne de ta personne.
A tant travailler, tu t'isole, tu n'es plus vraiment là pour personne, tu deviens irascible. Il est des petites victoires qui coûtent bien cher.
La vie de famille s'étiole et se résume à deux esseulées dans un petit trois pièces, faisant silence pour ne pas te gêner. Tu n'es plus vraiment là, tu es déjà parti trop loin et l'avenir radieux que tu t'es inventé semble n'être jamais à ta portée.
Le silence s'installe, les maux suivent. Ta femme regrette sans doute, sa vie d'avant lui suffisait, elle n'a pas voulu ce grand vide. Tu t'en fous.
Tu n'en auras jamais assez, rien sans doute ne viendra combler cette ambition qui n'est que vide, pour prouver quoi?
Tu te tourmente, tu te juge, tu te jauge, mais tu cours toujours les chimères.
Quand te poseras-tu donc? quand écouteras-tu?
Regarde-toi, tu te dessèche déjà, où donc est passé cet éternel sourire?
Une ride profonde vient se greffer entre tes sourcils, te donnant l'air sévère, tiens, on dirait ta mère!
Tu as vieilli, d'un coup, tu te trompes, tu te perds, et le temps devient déjà ton pire ennemi.
Prends garde à ce qu'il te réserve, tu le laisse filer contre toi et à la fin il t'aura.
Tic-tac, ton coeur est déjà trop usé, tic-tac, tu vas finir seul, ou crever.