L'échappée belle (Crau sèche, suite)

Le matin s'est levé sur nos rêves moutonneux, on est un peu perdus dans ce nouvel univers, mais nomades nous sommes!

-"dehors, les blanches, on étouffe là-dedans, ça sent le suint à plein nez!"

Avant de les lâcher, on tire l'eau du puits, c'est un peu long et laborieux, tout le monde s'impatiente. Puis le troupeau s'éparpille et se fond dans ce paysage désertique où ciel et terre se confondent.

A notre grande surprise, les bêtes ne bougent pas; elles s'accrochent goulûment à l'herbe rase, poussant les galets du bout du nez pour mieux l'attraper. On les suit quand même, pour être sûrs qu'elles ne franchiront pas les limites, qu'elles n'iront pas manger l'herbe du voisin, mais il est loin, l'hypothétique voisin, plusieurs hectares nous séparent.

On fini quand même un jour par apercevoir, de très loin, un berger et son chien; l'homme brandit un bâton dans notre direction et nous répondons de concert à ce que nous prenons pour un salut. On s'approche, pour mieux le voir, essayer d'établir le contact et nous nous apercevons qu'en fait il nous hurle menaces et injures dans une langue étrange mais aux intonations parfaitement explicites!

Il faut dire qu'ici on embauche plus facilement des semis-clochards qui n'ont en guise de salaire d'autre exigence que le litron quotidien et quelques salaisons en accompagnement. Ce n'est donc pas la sociabilité qui les caractérise...

Nous tournons les talons, un peu vexés de notre méprise, amusés, aussi!

Nous avons très vite laissés aller seules nos bêtes, les accompagnant de loin en loin, trop sages pour être bridées. Au bout de quelques jours, elles ont toutes un "cale" noir au menton, un bout de corne qu'elles se sont faites à force de retourner les pierres et cette herbe minuscule se révèle si riche et bonne qu'elles rentrent chaque soir plus rondes.