L'échappée bêle (suite)

CRAU SECHE

Nous étions jusqu'alors cantonnés dans nos grasses prairies et n'avions aperçu que de loin cet étrange désert.

Mais aujourd'hui, on taille la route pour ce nouveau décor, les bêtes, les chiens et nous deux, cette fois, un seul troupeau, un mois sans se quitter.

Quelques jours auparavant, on a effectué quelques voyages de reconnaissance, l'Accadiane bondée, vers la terre nouvelle.

Je ne sais plus comment nous avons trouvé le coussoul sans se perdre dans ce paysage d'une platitude hallucinante, cette immense steppe parsemée de galets à l'infini ou l'herbe niche, rase, entre deux pierres.

la cabane est sale, noirâtre, culottée de suie, faite de bric et de broc, perméable à l'air, à l'eau.

Avec l'enthousiasme de nos vingt ans à peine entamés, nous faisons de cette masure un endroit propre et chaleureux. Nous allons même jusqu'à emmener notre cuisinière à gaz, pour pouvoir se mitonner de bons petits plats...

Hé bien, nous voilà donc partis pour une journée de marche à travers les prés, puis les bois de chênes, ensuite traversée de la voie rapide, puis enfin la Crau sèche.

La voie rapide: un écran de voitures lancées à vive allure à franchir avec un millier de bêtes avec pour seule protection un bout de tissu rouge accroché au bout d'un bâton...

Un des rares moments de terreur pure qu'il m'aura été donné de vivre, mais nous nous en sommes sortis sans casse grâce à une bonne dose d'inconscience et à un sens aigu du défi!

Arrivés sur notre nouveau territoire, nous en explorons les limites, de gros tas de galets érigés aux quatre coins.

La bergerie en pierre est beaucoup trop petite et nous rentrons les bêtes au chausse-pied.

Demain sera notre première vraie journée de garde, nous nous inquiétons un peu de la pauvreté de la ressource, d'une très éventuelle levée du mistral sur cette terre sans abri, il fait encore froid, il faudra s'adapter.

Nous n'avons pas volé notre nuit et l'inquiétude du lendemain s'envole sur l'oreiller, quel abandon exquis, blottis l'un contre l'autre. A suivre...