L'échappée bêle: l'heure de la tètée
Quand je pénètre sur leur territoire, un grappin d'agneaux s'accrochent à mes jambes en sautant frénétiquement, manquant me faire choir...ce sont les laissés pour compte, ceux dont les mères n'ont pas assez de lait pour les nourrir ou qui n'en veulent simplement pas, parce qu'il y en a déjà un ou deux qui leur prennent déjà toute leur énergie. Je m'assoie sur un seau et suis prise d'assaut par ces petits êtres affamés et dépendants, ils me sautent au visage pour être les premiers à accéder à la tétine, vulnérables et dépendants, puis partent tour à tour, rassasiés, une moustache de lait au coin de la bouche...quelques curieux assistent à la scène, s'enhardissant à me tirer les lacets, à me mordiller les mains et les cuisses, à me sussauter les cheveux; ils m'amusent, ils m'agacent, ils me font parfois mal...
Parfois, une brebis s'approche, hésitante, puis se risque à venir sentir la bouteille de lait à l'odeur sucrée, me lèche les doigts voluptueusement, se rappelle qu'agneau elle a déjà goûté ce moment, l'une d'entre est même partie à l'autre bout de la bergerie,la tétine à la bouche, étonnée d' avoir osé un tel attentat, je lui cours après en riant!
C'est aussi l'heure du repas pour les mères qui pour une fois sont paisibles, trop occuppées qu'elles sont à se goinfrer de grain et de foin parfumé pour appeler leur progéniture égarée.
Débute alors une course effrénée de petites têtes blanches grisées par l'espace libéré par les brebis. Ils courent par vague en formant de larges rondes, bondissent en envoyant leurs petits culs ronds en l'air, puis au bout d'un moment, fatigués par ce manèges, se couchent en tas dans la paille blonde, blottis chaudement les uns contre les autres et s'assoupissent , insouciants et comblés.